76 kilos

Parce que j’ai bien remarqué et vous aussi : à partir de 70 kilos on ne dit plus trop son poids.

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Par Charlotte Moreau
16 nov. · 4 mn à lire
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76 KILOS - Tous mes autres poids - Chapitre 3

J’ai 15 ans, il fait nuit. Je suis debout dans ma chambre d’adolescente et dans une robe noire Zara, décolleté carré, fines bretelles, évasée aux genoux.

Une robe que j’ai achetée avec mon argent de poche au centre commercial Evry 2 et que je retrousse sur mes cuisses en faisant une grimace, un rugissement de tigresse mais sans le son, ce genre de grimace avec laquelle vous savez que vous restez jolie.

Ma meilleure amie prend la photo avec un jetable. J’aurai les pupilles un peu rouges à cause du flash. Derrière moi, on voit toutes mes peluches.

Ce n’est pas encore l’époque où on fait le mur pour aller en boîte antillaise. Où on sort avec des redoublants qui ont le permis, des voitures tunées avec des caissons de basse.

Je m’habillerai une année de plus en garçon, au point qu’au lycée on me surnomme Rambo. Combien de fois l’ai-je déjà placée cette anecdote. Est-ce que se raconter c’est autre chose que se répéter.

J’ai 15 ans dans une petite robe noire. Et en développant la pellicule, je découvre quelqu’un qui n’existe pas encore, un stéréotype de féminité désirable, ça me trouble un peu. Je pèse 57 kilos.

Mon poids n’est pas une préoccupation. Il le deviendra un an plus tard. Quand je demanderai la pilule à ma mère.

Bien sûr que je prends du poids avec la pilule. 

Au début, je pense que ça ne durera pas. Comme quand j’ai pesé 60 kilos à mon retour de Hanovre. Une semaine dont je suis rentrée grise et plombée de souvenirs inconfortables : le visage terne et frangé de ma correspondante, les serviettes rêches dans sa salle de bain, les cochons d’Inde qui courent en liberté dans l’appartement, le classisme de mon malaise là-bas. Et ces trois kilos qui me font changer de dizaine pour la première fois.

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