Je m’en aperçois dans le miroir, juste avant de sortir. Le renflement de ma banane, qui tombe sur le renflement de mon ventre. J’ai l’air enceinte. J’ai 44 ans, et j’ai l’air enceinte.
Cette fois au moins, c’est moi qui me le dis. Ça change de la précédente, de ce parent d’élève sur le parking. Qui m’avait joyeusement balancé « Félicitations ! » en me voyant sortir de ma voiture.
C’était la première rentrée post-confinement. J’avais 39 ans, fini d’écrire un livre et pris quatre kilos entre mars et septembre. Déjà je portais une banane en bandoulière, un peu descendue sur l’estomac.
Entre parents, on ne s’était pas trop croisés depuis le début de la pandémie. Et on ne se connaissait pas tant que ça avec ce père qui, spontanément face à ma silhouette, m’avait adressé les compliments d’usage. C’est dire s’il était convaincu de bien faire, de l’évidence.
Malgré mon « Félicitations pour ? », il insiste : « C’est pour quand ? »
Mon front bourdonne. De cette honte primitive qui se signale d’abord par le corps. Qui redistribue le sang vers la tête, fouette le visage, les sinus, les tempes.
Être prise pour une femme enceinte quand on ne l’est pas, ce n’est pas une affaire de kilos. C’est même l’inverse. On remarque peu les grossesses chez les femmes dites « rondes ».
Non sembler enceinte, c’est une question de déséquilibre, d’incohérence dans la silhouette, de disproportion entre le ventre et le reste. Les bras, les jambes.
Une difformité.
Ce mot scandaleux mais il faut l’écrire, puisque c’est le bon.
Puisque je suis là pour ça, écrire ce dont j’ai honte. Et parmi toutes mes hontes, celle-ci. Passer de la fierté d’être enceinte à la honte de le sembler.
C’est quand même pervers. Que dans une existence de femme, ces deux vérités contraires soient non seulement possibles, mais reliées. La honte et la fierté. L’une devenue l’envers de l’autre.
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