Le portail se referme, ils sont partis. Ils sont vraiment partis. Je ne rentre pas tout de suite dans la maison. Allume une cigarette d’abord. Mes mains tremblent un peu. Je suis seule, complètement seule pendant les cinq prochains jours. Ça ne m’est pas arrivé depuis vingt ans.
La dernière fois, j’étais en DEA, mes parents partis en club quelque part, moi restée chez nous pour écrire mon mémoire. Je ne fais pas de cuisine, pas de vaisselle, remets les fringues de la veille, prends mes pauses au soleil sur la terrasse. Je n’ai jamais été aussi bronzée et affûtée que cet été-là. Toute fringale envolée. Toute sollicitation aussi. Je suis célibataire.
Depuis, il y a toujours eu quelqu’un. Dans ma vie ou dans mon foyer. Habiter seule est une case que je n’ai jamais cochée.
C’était prévu pourtant, à la rentrée 2007, quand j’ai enfin quitté le nid. Le bail de mon premier appartement parisien est signé, le lit de 140 cm commandé. Suffisamment large pour que j’y dorme en étoile, et en solo. Sur Facebook, un beau gosse sorti de nulle part me drague un peu. Il a 21 ans. C’est lui qui montera l’armoire de ma salle de bains. Puis, tous les meubles qui suivront, du berceau à la niche du chien.
Avec les meubles et les années sont venus les kilos. Pour lui aussi d’ailleurs. On a fini par investir dans une de ces balances connectées qui vous salue par votre prénom.
Un jour, la balance ne m’a plus reconnue.
Un « X » clignote à la place de mon habituel « CHA ».
Charlotte Moreau
Journaliste pop culture, mode et société aux rédactions du ELLE, ancien reporter au Parisien. Sur Kessel, auteur de "76 kilos", "Glory Box" et du "Debrief". En librairies : "Il était une fois les pompiers" (Marabout) "Le Dressing Code" (Leduc) "Antiguide de la mode" (J'ai Lu) Masterclasses et ateliers d'écriture (non-fiction) sur www.balibulle.com